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28/05/2014

Une grand-mère

Tout au long de sa vie, Annonciade avait inlassablement travaillé la terre. Alors qu'elle n'était encore qu'une enfant, elle avait dû quitter l'école pour cause de mobilisation. En 14, son père avait été appelé pour servir de chair à canon. Faute de bras pour aider aux champs, la mère d'Annonciade, au désespoir, avait dû se résoudre à lui ôter toute possibilité de s'instruire. Elle avait 7 ans.

Très jeune, elle comprit l'importance de la terre nourricière, son salut, sa survie viendraient de là. Avec opiniâtreté, elle se mit donc à labourer, semer, sarcler, biner, autant que ses jeunes forces le lui permettaient. Elle écoutait, silencieuse, les conseils que lui prodiguaient les anciens. Le soir, avec sa sœur, il fallait encore aider sa mère à s'occuper des plus jeunes. Les journées n'étaient jamais finies.

Annonciade n'était pas belle. Et puis, faute d'instruction, elle n'osait pas parler. Si d'aventure un garçon lui adressait la parole, elle rougissait et ne disait mot. On finit par penser qu'elle était sotte. Sa mère disait qu'on aurait du mal à lui trouver un mari.

Celui-ci se présenta sous les traits de Paul, un lointain cousin. Il ne possédait presque rien, Annonciade, non plus, hormis son courage et son abnégation, leurs parents arrangèrent donc le mariage espérant que l'union des "presque" finirait par donner quelque-chose. 

Très vite, les jeunes époux réalisèrent à quel point tout les séparait. Il était bavard, elle était taiseuse, il aimait le bruit, la foule, elle chérissait le silence et la solitude des grands espaces.

N’ôtant jamais une blouse noire et des espadrilles, elle contrastait avec Paul qui lui, ne quittait jamais son costume clair et son chapeau de paille.

Annonciade avait compris qu'elle ne pourrait pas attendre de Paul qu'il subvienne aux besoins de sa famille, qui rapidement devint nombreuse. En seulement 6 ans, Annonciade engendra 5 enfants. Paul ne s'y intéressa pas.

Tandis que deux de ses sœurs, encore célibataires, s'occupaient de la progéniture et que Paul jouait aux cartes avec ses amis au café du village, s'affriolant à la vue du moindre jupon, Annonciade semait, binait, sarclait, du matin jusqu'au soir. Grâce à elle, sa famille aurait toujours de quoi se nourrir.

Annonciade s'éreintait aux champs et Paul sortait de plus en plus. L'été, il écumait tous les bals de la région avec quelques camarades de son tempérament. Ils finirent par ne plus se croiser qu'au petit matin, lui une bouteille sous le bras, rentrant se coucher, elle, une bêche à la main, commençant son labeur.

Puis la seconde guerre mondiale éclata. C'est le moment que choisit l'époux volage pour contracter une solide tuberculose, il ne fut donc pas mobilisé. Annonciade le soigna sans relâche. Il perdit un poumon mais il survécut ! Pour son épouse, il aurait mieux valut qu'il trépassât, car se considérant comme un survivant, ayant échappé à la guerre et à la maladie, plus rien n'arrêta sa frénésie de femmes et de beuveries.

Pour fuir la demeure familiale, il trouva le prétexte des cures thermales. Son unique poumon lui permit chaque année de se rendre à Saint-Honoré-les-Bains. Annonciade, lucide, savait bien que Paul profitait de ce moment pour assouvir ses instincts les plus vils. Mais elle s'en accommodait sans trop de mal, y gagnant un peu de tranquillité.

Devenue grand-mère, et réalisant que ses petits enfants en savaient plus qu'elle, elle se mit à la lecture et se prit de passion pour les Misérables. Elle lisait et relisait inlassablement le chef d’œuvre de Victor Hugo, se surprenant même à en réciter des passages pendant qu'elle binait les tomates. Paul la raillait pour cela. Fréquemment il disait à ses petits enfants: "Ne dérangez pas votre grand-mère, elle révise ses cours, cette année elle passe son bac". Elle n'en prenait pas ombrage. Adorant ses petits-enfants, et ces derniers le lui rendant bien, c'était presque un jeu entre eux.

Elle se prit d'affection pour un chat roux. Compagnon silencieux, il restait près d'elle durant ses longues heures de lecture et l'accompagnait souvent au jardin.

Paul tomba malade. Il dut renoncer à ses cures thermales. Un jour Annonciade surprit une conversation téléphonique durant laquelle il semblait dire au revoir à une vieille maitresse nommée Marthe. A moins que ce ne fut Berthe. Peu lui importait après tout.

Comme elle l'avait fait lorsqu'il était tuberculeux, Annonciade soigna vaillamment son vieil époux.

L'agonie de Paul fut brève.

Le jour des funérailles, les gens du village, en grand nombre, vinrent se recueillir une dernière fois devant sa dépouille. "Un joyeux drille ! " Un bon vivant" entendait-on de tous côtés. "On le regrettera !"

Annonciade, silencieuse, était perdue dans la contemplation de son chat roux dans les tomates.

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24/05/2014

Ils arrivent !

En Corse, la fin de la quiétude est proche. Avec l'arrivée des beaux jours, les premiers cars de touristes ont fait leur apparition sur les routes sinueuses de notre belle île, aggravant une circulation déjà difficile.

Les premiers arrivés ont pour la plupart des cheveux blancs. Partout, on peut admirer cette faune exotique, mèches clairsemées au vent, levant un nez déjà rougi vers la statue de notre empereur. Toujours en groupe, ils ne sont que l'avant-garde de ceux qui leur succéderont d'ici peu: les familles avec des enfants.

Ce qui caractérise le touriste du 3ème âge, celui appartenant au sexe masculin plus précisément, hormis son inimitable façon de porter le marcel, ce sont ses ennuis de prostate. Les arrêts du car le transportant sont donc fréquents. Gare aux freinages d'urgence! Mais pour ce visiteur émerveillé par la splendeur environnante, même dans cette situation, le dépaysement est total, car pour une fois, il n'urinera pas sur une aire d'autoroute. Et qu'y a-t-il de plus beau que de pouvoir soulager sa vessie face à un coucher de soleil sur les Calanques de Piana ? Enfin, encore faut-il avoir été opéré de la cataracte pour jouir pleinement du paysage.

Je pourrais décrire avec force détails leur allure, leur accoutrement, leur accent, leurs manières, mais il est tellement facile de sombrer dans la caricature. Et puis nous aussi, dans un futur plus ou moins proche, nous pourrions nous retrouver dans un car climatisé sur les routes de France, de Navarre ou de Silésie orientale, et le jour où nous serons obligés de satisfaire un besoin pressant sur les bords de la Vistule, on fera moins les malins.

En attendant de jouer les touristes à notre tour, celui du 3ème âge supportant mal le soleil de Corse, il est encore temps de profiter de nos plages et de nos rivières en toute tranquillité car d'ici peu, il sera trop tard.

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17/05/2014

Gentleman driver

"-Alors, tu es prête ?! Tu es prête ou tu n'es pas prête ?????

-J'suis pas prête !!!! J'suis pas prête, j'sais pas quoi mettre !!!!!!"

Dans la chambre des trois filles, des habits partout. Sur les lits, les chaises, la commode. Pêle-mêle, les vêtements des deux cousines et de leur amie. C'était le soir du bal. Impossible de manquer ça. Impossible d'envisager d'y aller dans une tenue approximative, le moindre détail devait être étudié.

-Et mes boucles d'oreilles, tu les as vues mes boucles d'oreilles ?

Effervescence. Les filles s'énervaient, se disputaient, il était presque l'heure d'y aller.

L'aînée des trois adolescentes, âgée de 17 ans était brune, petite, les deux plus jeunes, qui avaient presque 15 ans, étaient plus grandes, l'une brune, l'autre blonde. Depuis leur plus tendre enfance, elles passaient les grandes vacances ensemble dans ce petit village de Corse où l'été était une saison si joyeuse et si festive.

Les journées commençaient souvent bien après midi pour se terminer tard dans la nuit. Au programme, baignade, lecture, préparatifs pour le bal. A 18h, au plus tard, il fallait être rentré de la rivière pour pouvoir se préparer car cela demandait du temps. Beaucoup de temps.

Les deux brunettes avaient encore de l'acné, cela les préoccupait au plus haut point, il fallait donc camoufler tout cela. Puis venait le moment des essayages devant le miroir où chacune donnait son avis aux autres. L'aînée était dans sa période mini-jupe. Les deux autres échangeaient parfois leurs habits.

Une quatrième amie se joignait parfois à elles. Là, elles étaient au complet.

En ce temps-là, les bals étaient nombreux. Plusieurs fois par semaine, un village du canton en organisait un. Nombre de jeunes, faute de véhicule, ne pouvaient s'y rendre. Nos adolescentes n'en manquaient aucun grâce à un homme providentiel.

Vieux garçon d'une cinquantaine d'année, Dominique vivait avec sa sœur, ne buvait pas, avait une voiture et adorait danser. Réminiscence de sa jeunesse insouciante, il honorait tous les bals de sa présence.

Faisant grand cas de sa sobriété et de sa probité légendaires, ainsi que de sa réputation de parfait gentleman, les parents lui accordaient toute leur confiance, il avait donc l’autorisation d'emmener ses jeunes amies danser.

Sur le coup de 22h, sa voiture, une Renault 19 Chamade dernier cri, s'arrêtait devant la maison pleine de rires juvéniles, et il klaxonnait deux fois.

"Il est là ! Il est là !!!" entendait-il hurler.

Lorsqu'elles n'étaient que trois, l'aînée des filles s'asseyait toujours devant, près du conducteur. Non pas qu'elle en ait eu envie mais c'était la seule à comprendre le corse et à le parler un peu. Dominique ne s'adressait à elles que dans sa langue maternelle. Sans que l'on sut pourquoi, il avait surnommé la plus blonde "Mémé", elle en était souverainement agacée.

Dominique parlait beaucoup et roulait lentement. Pour un trajet de trente minutes, il mettait une heure. Il racontait les bals de sa jeunesse, l'insouciance, le village plein de monde où il faisait bon vivre, hiver comme été, la valeur de la parole donnée. Lorsqu'il croisait une autre voiture, il s'arrêtait et donnait moult détails sur son propriétaire, allant jusqu'à évoquer son arbre généalogique. Les filles, au comble de l'impatience, poussaient de profonds soupirs.

Arrivées dans le village où se donnait le bal, elles priaient Dominique de les laisser loin du lieu où il devait se dérouler, afin de faire une entrée discrète. Dominique, fier de son véhicule et de ses occupantes, mettait un point d'honneur à les déposer juste devant.

Là, ils se séparaient, Dominique entrant en piste quand ses jeunes amies la quittaient. Sempiternellement vêtu d'un pantalon noir et d'une chemise blanche, encore fringant, il entrainait ses cavalières dans des tangos et pasodobles étourdissants.

Vers 2h du matin, lorsque ses forces le quittaient, il priait les filles de s'en aller. Ces dernières, à force de supplications, parvenaient à le convaincre d'aller les attendre en voiture. Fort mal installé, il s'endormait dans la Renault Chamade. Vers 5h, elles le réveillaient pour rentrer.

Tandis que le soleil se levait sur la vallée, Dominique, fourbu, apercevant l'affiche du prochain bal, les quittait en leur disant:

"A sta sera, o figliule ?" ("A ce soir, les filles ?")

 

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14/05/2014

Equinoxe 0 %

Pauvres de nous ! Plus qu'un mois à profiter du printemps, saison délicieuse mais ô combien restrictive, ensuite ce sera le moment d'enfiler notre maillot de bain

C'est bien joli le printemps. On s'émerveille, la nature se réveille, le soleil réchauffe nos carcasses endolories, mais est-on bien conscient de tout ce que cela implique ?
En Corse, terre bénie des Dieux, la douceur du climat pousse les habitants à se dévêtir durant la saison chaude. A Dunkerque, un col roulé, en Corse, un maillot de bain.
Cela suppose un certain nombre d'obligations: un corps mince, un corps musclé, un corps bronzé. Il n'est pas envisageable d'arriver à la plage avec un corps gras, flasque et blanc. C'est réservé aux touristes.

 Si comme moi, durant l'hiver, vous avez pris de copieuses collations essentiellement composées de canistrelli,  l'angoisse doit être en train de vous étreindre.

A l'issue de la morte saison, impossible de rentrer dans le joli petit jean tout léger qui nous allait si bien. Plus possible de faire un pas sans tomber sur un magazine proposant de nouveaux régimes permettant de perdre 5-kgs-en-une-semaine-en-mangeant-tout-ce-que-je-veux à part peut-être Philosophie magazine.

 "Fi des régimes ! L'essentiel est d'être bien dans sa peau." s'insurgera-t-on. Cet adage ne peut prendre tout son sens que si l'on habite loin d'une station balnéaire, dans le cas contraire, il est caduque.

Le printemps, dans certaines régions, est avant tout synonyme de cruelles privations et d'inscriptions à la piscine.
Ici, les clubs de gym ne désemplissent pas, le Dr Dukan a triplé son chiffre d'affaire et il faut réserver des mois à l'avance pour faire une séance d'UV.

Les corps parfaits des gens dans ma tranche d'âge, (le tout début de la quarantaine) me laissent toujours dubitative. Quand on sait les efforts et surtout le temps que cela demande, on peut s'interroger sur la capacité de ces personnes, absolument tournées vers leur plastique, à ouvrir un livre. Peut-on lire Kant durant une séance d'abdo-fessiers ?

Ils pourront se rattraper à la plage ! m'objectera-t-on. Certes, mais alanguis sur leur serviette, ces gens-là ont plutôt tendance à lire Voici, Closer ou Marc Levy.

Oh les vils clichés ! N'existe-t-il donc pas des personnes soucieuses de leur alimentation, sportives par goût et non par nécessité, aimant cultiver leur esprit, qui exhibent un peu malgré elles, leur silhouette flatteuse le moment venu ? Oui ! Mais comme je les jalouse, je ne veux pas en parler.

D'ailleurs, une pomme et je file. J'ai piscine.

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10/05/2014

Chronique BD France Bleue RCFM sur "Mauvais genre" de Chloé Cruchaudet


12:21 Publié dans BD, Radio | Lien permanent | Commentaires (0)