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02/05/2014

Un grand-père

Pépé Paglieta (prononcez Paillet'a), surnommé ainsi parce qu'il ne quittait jamais son chapeau de paille, n’ôtait jamais non plus son costume clair bien qu''il résidât au village.

Pépé Paglieta s'était marié très jeune, contre sa volonté, et contre celle de sa promise,  avec Annonciade, une femme laborieuse et taillée pour l'effort. Jamais ces deux là ne s'aimèrent et avec le temps, en vinrent à se détester. 

 Paul aimait faire la fête. Annonciade, le jardin. Ils se croisaient souvent au petit matin, elle, une bêche à la main, lui, une bouteille sous le bras, vestige de sa nuit loin d'elle.

 Il lui fit 5 enfants, il fallait bien assurer la descendance, et s'y intéressa peu. Il n'était pas fait pour la vie rude du village, travailler la terre lui faisait horreur. Sa pension de guerre lui permit de ne jamais suer au dessus des sillons. Une tuberculose providentielle eut l'heur de se déclarer la veille de sa montée au front. Il y aurait laissé la vie, il y perdit un poumon.

 Alors que rien ne le présageait, il manifesta beaucoup d'intérêt envers ses petits enfants, principalement quand ceux-ci devinrent adolescents. Ce qu'il aimait par dessus tout, c'était leur prodiguer des conseils de séduction. Il leur expliquait comment plaire aux femmes, leur conseillait d'ôter jeans et t-shirts au profit d'un beau costume qu'un vieux tailleur d'Ajaccio pourrait leur confectionner.

 Il les mettait en garde contre l’homosexualité, un fléau qui, selon lui, touchait la jeune génération. De son temps à lui, ces choses-là ne se faisaient pas. Il en parlait souvent et n'hésitait pas à se montrer cru afin de choquer les jeunes esprits des adolescents qui l'écoutaient amusés. Lui qui aimait tellement les femmes, ne pouvait comprendre qu'un homme puisse être attiré par un autre.

 L'été avec ses amis, il écumait les bals de village ! Excellent danseur, il avait un succès fou. Les femmes faisaient la queue pour avoir l'honneur d'une danse avec Paul.

 Il les entrainait dans des valses qui les laissaient étourdies. Au petit matin, il rentrait, ivre d'alcool et de bonheur. Il croisait alors Annonciade, la mine maussade qui s'en allait biner les tomates.

Après la belle saison, l'ennui le gagnait. Fort heureusement, il s’était pris de passion pour les cures thermales. Il s'y rendait chaque année, grâce au poumon qui lui restait et qui n'était guère vaillant. Ces cures annuelles, lui donnaient l'occasion de quitter son village, où l'hiver, il ne se passait rien, et de faire de savoureuses rencontres.

 A Saint-Honoré-les-Bains, il devint rapidement l'ami du maire d'un petit village du sud de la France, venu prendre les eaux avec sa femme, et n'eut pas grand effort à faire pour devenir l'amant de cette dernière, la délicieuse Berthe. Comment aurait-elle pu résister aux roucoulades de Pépé Paglieta, susurrant des "Berrrrrthe" enflammés dans le creux de son oreille ?

 Quand le couple achevait sa cure, Pépé Paglieta la poursuivait car Marthe le rejoignait alors. Cette veuve bretonne, blonde dans sa jeunesse, grande et fessue à souhait, le comblait au delà de toute espérance. Comme elle était loin, la brune et besogneuse Annonciade ! Comme il serait toujours temps de la retrouver !

 Au retour pépé Paglieta était épuisé et se montrait fort peu enjoué. Les joies de Saint-Honoré-les-Bains n'étaient plus qu'un souvenir qui le faisait sourire dans l'obscurité de sa chambre, et puis il vieillissait. Alors qu'Annonciade continuait de cultiver son jardin, sarclant ses pieds de tomates avec ardeur, Pépé Paglieta rongeait son frein dans un lit d'où il sortait de moins en moins.

 L'année suivante, très affaibli, il ne put aller en cure. Sa maladie pulmonaire avait gagné du terrain. Il prit soin de prévenir ses chères Berthe et Marthe de son absence. " Berrrrrthe (Marrrrrthe) je ne pourrrrai pas venirrrrr cette année " leur annonça-t-il avec tristesse.

 L'agonie de pépé Paglieta ne fut pas longue. Annonciade, toujours consciente de son devoir, le soigna jusqu'à la fin.

 Le jour de son enterrement, la maison était pleine de monde. Les gens venaient se recueillir une dernière fois devant la dépouille de pépé Paglieta (toujours vêtu d'un costume mais noir cette fois-ci) et présenter leurs condoléances à la famille.

 Comme les personnes parlaient du défunt autour d'un café, Annonciade, en grand deuil, s'approcha de la fenêtre où quelque-chose avait attiré son attention et s'exclama:

 " Mi, chi ci hè un ghjattu rossu in i pumati ! (Oh, il y a un chat roux dans les tomates !)

 

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Commentaires

Je ne sais pas comment dire ce que provoque la lecture de ce texte, mais il est à la fois vrai, simple, cynique mais aussi poétique... Il porte tout en douceur un sujet si grave et si douloureux que je dois confesser un tremblement de mes paupières et peut être quelques gouttes à l'intérieur, merci.

Écrit par : Fred | 03/05/2014

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